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PHILOSOPHIE ET SPIRITUALITÉ DE L’ANTIQUE TEMPLE ÉGYPTIEN (Partie 2)


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scribe assis

Pensée 2. « Quand les oreilles de l’élève sont prêtes à entendre, c’est alors que viennent les lèvres pour les remplir de Sagesse. » Le Kybalion (Hermès Trismégiste).


Pensée 3. « Toute Cause à son effet ; tout effet a sa cause ; tout arrive conformément à la Loi ; la Chance n’est qu’un nom donné à la Loi méconnue ; il y a de nombreux plans de causation, mais rien n’échappe à la Loi. » Le Kybalion (Hermès Trismégiste).


Pensée 4. « J’ai été initié dans ces mystères. En vérité je ne répèterai jamais ce que j’ai entendu. Je ne répéterai à personne ce que j’ai vu. » Livre des Morts



3 — LES PRÊTRES DE L’ANCIENNE ÉGYPTE


3.1. — La classe sacerdotale


Tous n’étaient pas des prêtres dans cette « Maison » représentée par le clergé de l’ancienne Égypte, qui vivait dans l’enceinte des temples et de ses annexes, mais beaucoup l’étaient à un titre ou à un autre. Par « prêtre », il nous faut comprendre tout homme qui s’était mis dans l’état de pureté requis pour approcher le lieu saint, résidence du dieu. Si le nombre, des « prêtres purifiés » (les ouêbou), était considérable, du chapelain au prêtre s’étageaient des classes, entre lesquelles se répartissaient une foule d’officiants et d’auxiliaires. Ces classes étaient flottantes et parfois insuffisantes, car diverses catégories servant dans le domaine des temples n’auraient su être systématiquement rattachées à l’une ou à l’autre. C’était le cas des « chanteuses », des « prêtres lecteurs », des « hiérogrammates » (scribes), des « horologues » (annonceurs de l’heure) qui jouaient un rôle très important, dans les offices du culte divin, dans les cérémonies du Jubilé ou lors d’un couronnement. Aussi, nous adopterons une classification, fondée sur le rôle joué par chaque officiant dans ses fonctions. Les textes ne manquent pas où l’on voit des prêtres de petits sanctuaires cumuler titres sacerdotaux et titres administratifs, passer du domaine du culte au statut de chef des troupeaux, ou bien encore au service du compte des sacs de blé.



3.2. — L’accession au sacerdoce


Il est difficile de dégager une règle définissant les conditions d’accès aux fonctions sacerdotales pour toutes les époques. Plusieurs filières étaient admises  : les droits de l’hérédité — un prêtre pouvait être remplacé par un membre de sa famille — la cooptation, le rachat des charges ; ces filières permettaient en général un recrutement convenable.

Il ne faut pas perdre de vue le fait que le culte divin rendu dans le temple, quels que soient les droits de fait acquis par les membres du clergé au service du dieu, restait une délégation royale. Le pharaon étant pratiquement le seul ministre des cultes, son autorité pouvait à tout moment intervenir dans les arrangements au sein du clergé. À d’autres moments, Pharaon — Per-aâ, qui, sous l’ancien Empire signifiait la « Grande Demeure » — prenait la décision de promouvoir un prêtre dont l’activité et les dispositions lui agréaient. Ce fut le cas du prêtre Nebouây, sous le règne de Thoutmosis III, qui fut élevé au statut de « Premier Grand Prêtre d’Osiris ». « Les dieux m’ont préparé la route, c’est le roi qui m’envoie contempler le dieu dans le Saint des Saints », dit un chapitre du rituel d’intronisation.

Vers le Nouvel Empire, dans l’enceinte des temples, les femmes eurent la possibilité d’exercer une charge sacerdotale de second rang. Un clergé féminin, les ouêbouit, fut mis en place lors des cultes. Des exemples de femmes prêtresses ne manquent pas. L’institution thébaine consacrait une épouse terrestre au dieu Amon, appelée « la Divine Adoration », Lors de représentations des Mystères religieux, deux jeunes femmes, choisies vierges, jouaient le rôle du cérémonial des déesses Isis et Nephtys. À partir de la XVII° dynastie, des scènes épigraphiques mettent en évidence ce que des épouses royales eurent des fonctions religieuses et des transmissions de mère à fille. Ce fut le cas de la reine Hatshepsout pour sa fille Neferouré, et de Néfertari pour sa fille Merytamon. Les chanteuses d’Amon, les hymnodes, se rangeaient parmi les prêtresses, car il convenait que le rythme des mélopées adressées au dieu fût conforme aux traditions d’élocution sacrée.

Les prêtres et l’ensemble des officiants qui assuraient le service du culte au temple fonctionnaient sur une période d’un mois environ. Autrement dit, chaque groupe n’officiait que trois mois par an, chacune de ces périodes étant séparée par un trimestre d’inactivité, tout au moins dans l’enceinte du temple. Le groupe sortant livrait le temple avec son matériel de fonctionnement aux nouveaux arrivants. Seule la haute prêtrise demeurait en fonction permanente au sein du temple.



3.3. — La pensée religieuse


La pensée religieuse égyptienne a produit des œuvres qui tournent une à une les pages glorieuses d’un passé plusieurs fois millénaire, ou le désir d’une vie sans fin s’étendait au-delà des formes créées. Le domaine de l’inconnaissable restait à tout moment perceptible dans un autre monde, où les dieux et les morts se fixaient dans une vie dans déclin. C’était une magie qui agissait comme un régulateur d’énergies spirituelles et matérielles entre le divin et l’homme, parce qu’elle plaçait le sacré comme première valeur. C’était Pharaon qui, par sa filiation divine (fils d’Amon-Rê), était la clé de voûte ; sur lui reposait le fonctionnement social et religieux du peuple d’Égypte. Appelé aussi le « Grand Magicien », il rendait le culte divin qui se déroulait chaque jour dans la « Demeure du dieu », ce qui en faisait le « Premier Grand Serviteur » du temple.

Considéré comme le reposoir terrestre du dieu, le temple était l’image symbolique du « Tertre originel émergé du Noun ». Et parce qu’il devait être un creuset d’ordre et d’équilibre du monde sous l’influence de Maât, il fallait pour faire fonctionner cette « centrale d’énergie » tout un personnel qui peuplait et semait la vie dans l’ensemble du domaine du temple  : du « Grand Prêtre », haut personnage politique et religieux, aux différentes classes des prêtres et chapelains, des scribes, des fonctionnaires au personnel d’entretien. À Karnak, au temps de la faveur d’Amon, on pouvait évaluer les membres du clergé attachés aux fonctions sacerdotales à plus d’un millier, sans compter les autres personnels affectés à la gestion du domaine économique du temple.



3.4. — Le statut de prêtre


L’Égypte (Kemet), un pays immuable aux lignes toujours semblables  : un soleil jamais voilé, un fleuve qui chaque année s’enfle pour fertiliser ses rives, un désert ocre, qui s’étend comme une entité de puissance et de silence. Mais encore, des voiles blanches de felouques glissant tel un ibis, qui, ailes étendues, trace dans le ciel les signes sacrés du dieu Thot et encore des fellahin qui, en buvant le karkadé, discutent à l’ombre d’une palmeraie, enfin des enfants rieurs qui s’ébattent dans le Nil, les mélopées des femmes qui règlent la vie du village. Tel fut le cadre où se forma l’âme du peuple égyptien, marquée par une religiosité envers les dieux et le monde, tel qu’il fut créé au premier jour.

Pour maintenir cet équilibre selon le plan défini par les dieux, il fallait un « Législateur » »  : en premier lieu venait Pharaon, suivi du haut clergé avec sa cohorte de prêtres. Si nous prêtons l’oreille, il nous semble entendre le vieil écrivain et philosophe d’Alexandrie, Porphyre, décrire avec admiration les prêtres des bords du Nil  : « Par la contemplation, ils arrivent au respect, à la sécurité de l’âme, par la réflexion à la science, et par les deux, à la pratique de mœurs ésotériques du temps jadis. Être en contact avec l’inspiration divine et la science réprime les passions et stimule la vitalité de l’intelligence. »

De par sa double fonction religieuse et législative, sa Majesté (hemef) était le garant du culte divin qui s’exerçait quotidiennement au temple  : aussi l’existence officielle du corps sacerdotal dans sa fonction, reposait en nom et place du souverain régnant. Il assurait sur tout le territoire l’exercice du culte, ainsi que l’ensemble des rituels à l’occasion des grandes cérémonies. L’action théologique essentielle contribuait à maintenir la présence du dieu sur Terre et à conserver le monde sous la forme où les dieux l’avaient établi au premier matin.

Nous devons nous garder, au travers du terme « prêtre », de les considérer comme les dépositaires d’une « vérité révélée » qui ferait d’eux une catégorie à part de la société, la religion égyptienne n’étant pas une « vérité acceptée ». En ce sens, ils n’avaient rien de prophètes  : à l’exemple des Hébreux, c’étaient des hommes semblables aux autres, et ils ne bénéficiaient d’aucun privilège d’origine divine. S’ils pouvaient être de riches penseurs ou saints hommes, c’était grâce à l’action de leurs tendances personnelles, et non par une suite obligatoire sacerdotale.

Il faut reconnaître que la prêtrise, ouverte parfois trop largement, pouvait accueillir un recrutement d’hommes sans convictions, peu enclins à la vie spirituelle et à la méditation qui se révélaient à l’ombre des temples ; ainsi l’accès aux charges religieuses fut-il l’enjeu de constantes convoitises. Les postulants à la prêtrise pouvaient entrer très jeunes dans des collèges où étaient enseignées l’instruction religieuse et les sciences.



3.5. — Hiérarchie du clergé


Le fonctionnement du corps sacerdotal se trouvait sous la responsabilité d’un haut personnage religieux d’État, appelé le « Grand des Voyants (Our-Maour) de Rê ». Après Pharaon, c’était lui qui assurait l’office divin au temple ; à son service étaient placés les « prêtres purs » (ouêbou), puis venaient les scribes ; suivait tout un personnel de fonctionnaires et d’auxiliaires qui assuraient et préparaient la bonne marche du temple. Le « Grand des Voyants » était désigné par Pharaon à la fonction suprême ; il était dans la tradition de faire confirmer sa nomination par un oracle du dieu. Divinement intronisé, ce haut personnage recevait alors deux anneaux d’or et bâton magique héka, symboles de son autorité spirituelle et de ses pouvoirs, tandis que Pharaon prononçait la phrase traditionnelle  : « Te voici, Grand Prêtre du dieu, ses trésors et ses greniers sont sous ton sceau  : tu es le premier serviteur de son temple ». Eu égard à ses fonctions, tant politiques que religieuses, il se trouvait fréquemment écarté de son service quotidien du temple, si bien qu’il déléguait ses devoirs au « prêtre Sem », second serviteur en rang.

Parmi les classes des « prêtres ouêbou », qui pouvaient, suivant l’expression consacrée, « ouvrir les portes du ciel » et contempler le dieu hors du culte quotidien, se formait une élite dans laquelle se recrutaient les plus hauts dignitaires et savants du clergé, à l’exemple d’Imhotep qui fut Grand Prêtre à Héliopolis et choisi par le Pharaon Djoser pour construire à Saqqarah sa « Demeure d’éternité ».



3.6. — Observances et rites


Pour accomplir les offices divins au temple, les prêtres devaient se purifier se prêtant à des observances et à certains rites, où se rattachait tout un symbolisme. L’eau était, dans la pensée religieuse des Égyptiens, l’élément initial d’où toute vie était sortie ; celui d’où le dieu Rê, accomplissant son cycle de renaissance, apparaissait à l’aurore pour disparaître au crépuscule, afin de puiser, dans son voyage à travers le monde souterrain d’Osiris, la nouvelle énergie qui allait lui donner un lendemain rajeuni dans sa pureté originelle.

Dans certains bas-reliefs figurent des scènes de purification, où l’eau fraîche s’échappe des aiguières, remplacées parfois par une pluie de petits signes de vie ankh. Le rite d’ablution d’eau fraîche pour le culte divin du matin imprégnait les officiants d’une vie rajeunie et purifiée qui leur permettait d’assurer le rituel du culte. Une autre forme de purification, à laquelle devaient se soumettre les officiants avant de pénétrer les lieux saints en empruntant l’Adyton, consistait à se laver la bouche avec du natron délayé dans de l’eau.

Autre observance rigoureuse  : dépouiller son corps de tout poil et se raser les cheveux. Certains textes précisent que les prêtres devaient s’épiler les cils et les sourcils ; à ces règles, venait s’ajouter la circoncision. Constituait-elle une des conditions nécessaires ? On ne peut être affirmatif. Néanmoins, des écrits relatent que des novices à la prêtrise ne subissaient ce rituel qu’au moment où ils accédaient officiellement à leur charge. La vie sacerdotale demandait encore un autre état de pureté  : l’abstinence de relations sexuelles durant les périodes de présence et de service au temple. Les prêtres du temple pouvaient se marier  : leurs fonctions ne les contraignaient pas au célibat ; tout au plus devaient-ils se satisfaire d’une épouse. Cette restriction ne fut pas toujours respectée, puisque le prêtre Phérenptah s’était constitué un véritable harem. Mais ils devaient être purs lorsqu’ils franchissaient les portes du temple. Sur ce point, les textes sont formels  : « Quiconque accède au temple doit être purifié de tout contact féminin par une abstinence de plusieurs jours ».

Le texte d’une statue d’un jeune prêtre donne ce détail  : « Je me suis présenté devant le dieu, étant un jeune homme excellent, tandis qu’on m’introduisait dans l’horizon du ciel. Je suis sorti du Noun (l’eau initiale) et je me suis débarrassé de ce qu’il y avait de mauvais en moi ; j’ai ôté mes vêtements et les onguents comme se purifient Horus et Seth. Je me suis avancé sans souillure devant le dieu dans la salle sacrée, plein de crainte devant sa puissance ». Les étapes de purification accordaient la présentation au temple, la vision du dieu, la reconnaissance de quelques secrets que seuls les « prêtres initiés » pouvaient transmettre, ainsi que la communication de formules magiques. Celles-ci permettaient de charmer le ciel, la terre et les eaux, de voir le soleil monter au ciel et en redescendre — Khépri au lever, Rê au zénith, Atoum au coucher — de voir les étoiles en leur forme et la lune se lever, de sentir les pulsations de Noun.



3.7. — Les prêtres-initiés et les scribes


Zodiaque

Cette dalle de grès décorée d'un bas-relief provient du temple dédié à la déesse Hathor construit à Dendérah, au nord de l'actuelle Louxor. Ce temple fait partie de ces merveilles architecturales que l'Expédition d'Égypte, conduite par le général Bonaparte, révéla au monde occidental. Le zodiaque circulaire ornant le plafond d'une des chapelles situées sur le toit du temple est une représentation de la voûte céleste constituée d'un disque soutenu par quatre femmes, les piliers du ciel, aidées par des génies à tête de faucon. Sur son pourtour, 36 génies symbolisent les 360 jours de l'année égyptienne. Puis on trouve des constellations, au nombre desquelles figurent les signes du Zodiaque. Pour la plupart, leur représentation reste proche de leur désignation. On peut ainsi facilement reconnaître le Bélier, le Taureau, le Scorpion, le Capricorne. D'autres ont une iconographie plus égyptienne tel le Verseau représenté par Hapy.

Dans cette grande « Maison » du clergé vivait une catégorie de prêtres et scribes. Des documents du Moyen Empire désignent ces prêtres sous le nom de chendjouty, ce qui signifie le « prêtre du pagne ». Ils devaient préparer les objets du culte divin et pourvoir à leur entretien, aux habillements de la statue du dieu, ses parures, ses bijoux, ses parfums et les onguents, apprêter les aiguières pour les ablutions, l’encens pour les fumigations, ainsi que la table des offrandes. Parmi ces prêtres figuraient les intellectuels et les savants de la « Maison de Vie » (Per-Ankh), où se rédigeaient, les livres liturgiques et où s’élaboraient aussi les éléments de la science sacrée.

À ces institutions appartenaient les scribes et les « hiérogrammates » ; certains d’entre eux étaient prêtres, particulièrement estimés à la cour de Pharaon en raison de leur vaste culture. Auprès d’eux s’affairaient les « prêtres lecteurs »  : porteurs des rouleaux du Livre divin, ils partageaient le renom et la popularité de la « Maison de Vie ». À l’extérieur du temple, on les retrouvait dans d’autres contextes où ils s’occupaient de médecine et de chimie ; plusieurs recettes de papyrus médicaux sont attribuées à leur science. Ils représentaient pour le peuple égyptien le type même du magicien populaire, dont les légendes étaient racontées par la « femme sage », le soir à la veillée.

À ces « Maisons de Vie » se rattachaient deux ordres de prêtres, les « horologues » et les « horoscopes ». Les « horologues » ou « prêtres horaires » (ounout) sembleraient avoir été en fait des astronomes, chargés d’approfondir les écrits, établis par les scribes de la « Maison de Vie », relatifs à l’ordonnancement des étoiles fixes, des mouvements de la Lune et des planètes qui errent dans le ciel, les « infatigables » (ikhémou-sek). Ces prêtres étaient aussi chargés de préciser les jours et heures favorables pour la grande fête d’Opet (la Belle Fête de la vallée), qui se déroulait chaque année. Tout prouve qu’ils étaient parvenus dans la science du ciel à des connaissances avancées pour l’époque.

Les éclipses Soleil/Lune leur étaient parfaitement connues ; un texte de Thoutmosis III évoque le passage d’un astre lumineux qui, relevant des calculs de nos astronomes modernes, pourrait être la comète d’Halley. Sur le zodiaque du temple de Dendérah et sur le plafond de la tombe de Senmout, on peut reconnaître la grande Ourse, sous la forme d’une « jambe de bœuf », la constellation d’Orion, représentée par un homme courant et tenant dans sa main une étoile, et Cassiopée, figurée par un personnage bras tendus vers le ciel. Dans une salle du Ramesseum, le « Château des millions d’années » de Ramsès II, existe un magnifique plafond astronomique.

La connaissance du firmament jouait un rôle dans la détermination des points cardinaux, en fonction desquels était édifiée et disposée la « Demeure du dieu ». Toute fondation d’un temple cultuel partait d’observations célestes. Dans les documents dont nous disposons, tout semble indiquer que l’astrologie, venant très probablement de la Babylonie, fut très employée. Les traités d’astrologie étaient confiés aux « prêtres horoscopes » ; ceux-ci devaient connaître le calendrier mythologique et établir quels étaient les jours fastes et néfastes de l’année égyptienne, qui comptait 365 jours. On a retrouvé des papyrus-calendriers, où chaque jour de l’année était défini comme bon, neutre ou néfaste. Puis l’idée s’est progressivement infiltrée de lier le destin de chaque individu aux circonstances cosmiques de sa naissance en déterminant les influences des astres qui étaient dominantes à l’heure de sa venue au monde.

Des écrits nous informent que des scribes, instruits dans la science des « apparitions nocturnes » se tenaient à la disposition de ceux qui désiraient connaître la signification de leurs rêves. Ces scribes se faisaient les interprètes des songes ; eux-mêmes avaient coutume de s’endormir dans une salle du temple, dans l’espoir qu’un rêve prémonitoire pût leur révéler un événement présent à venir. L’histoire nous met en mémoire le rêve de Pharaon, dont Joseph, à la demande du roi, se fera l’interprète. Des prêtres initiés aux sciences divinatoires étaient requis pour les oracles mis en œuvre pour interroger les dieux, sans omettre les requêtes écrites. Dans un petit temple du Fayoum, on a retrouvé des requêtes adressées au dieu du temple. À la cour du Pharaon, des « prêtres-précepteurs » étaient recrutés pour instruire les jeunes princes et princesses à leurs futures charges royales et religieuses.



3.8. — La magie héka


Aux yeux des prêtres, la connaissance de la magie et de ses formules fournissait une puissance quasi-certaine sur les êtres vivants, les dieux et les forces de l’univers. Le « prêtre-magicien » était un personnage que les événements les plus spectaculaires ne faisaient pas reculer. Un texte lui prête ces paroles  : « J’abattrai la terre dans l’abîme de l’eau, le Sud deviendra le Nord, la terre sera bouleversée ». Dans la pratique, l’action était plus estimable, en ce sens qu’il fallait avant tout protéger l’ordre du monde constamment menacé par des forces perverses. Il y avait un ciel, il y avait une terre, ils agissaient l’un sur l’autre, imprégnés d’une force spirituelle que les « prêtres-magiciens » appelaient héka (magie). Si certains sorciers de village utilisaient quelques recettes magiques, seule la « Grande Magie » était révélée à une élite de prêtres et de scribes. « Voilà que je me suis adjoint cette puissance magique en tout lieu où elle se trouve, elle est plus rapide que le lévrier, plus prompte que la lumière », dit le magicien dans le Livre des Morts.

La croyance répandue dans le peuple des fellahin voulait que les maladies fussent envoyées par la terrible déesse Sekhmet ; il fallait donc exorciser le mauvais démon, et personne n’était aussi qualifié pour rédiger une formule magique que le « prêtre-lecteur », versé dans toutes les ressources de la vieille magie. Et seul le Supérieur des prêtres de Sekhmet avait la compétence pour enrayer la fureur de la déesse lionne.

Un autre prêtre, le hery-tep « celui porte le rituel » était instruit à une forme de magie plus particulière, dite « défensive ». Cette magie était un don des dieux, que les hery-tep utilisaient contre des procédés d’envoûtement, ou de toute manifestation venant d’un ennemi, et relevant de la protection de Pharaon sur sa personne, de son épouse ou de ses descendants. Sous la XI° dynastie, un magicien héka, le prêtre Hétépi, fut un personnage très important. Il est écrit que le héka fut donné par le démiurge en tant qu’arme pour agir sur l’effet d’événements survenant dans la vie des hommes, comme détourner l’action néfaste du serpent Apopis « ennemi du dieu Rê », de Seth « le fauteur de troubles », ou de Sekhmet « celle qui a le pouvoir » », ou bien encore Sobek « la mangeuse de l’Occident ».

C’est le héka dans le bâton d’Aaron, qui s’est transformé en serpent protecteur (Menen) et a absorbé le bâton du « prêtre-magicien » de Pharaon. Dans cet acte, Aaron invoquait l’entité héka, pour recevoir d’elle la puissance magique. C’est aussi celui par l’entremise duquel Moïse déclencha les dix plaies d’Égypte, fendit les eaux de la Mer des Roseaux, puis fit jaillir l’eau du rocher en Horeb.

Il serait difficile de passer sous silence ceux qui s’acquittaient des cérémonies funéraires, rangés sous le nom de « prêtres-embaumeurs ». Dans le clergé, ils occupaient une place très importante ; s’ils étaient pour la plupart indépendants des sanctuaires, ils constituaient une sorte de confrérie sans rapport avec l’office des cultes, dont s’acquittaient les prêtres-ouêbou. Les « prêtres-embaumeurs » accomplissaient la momification qui se déroulait dans la « Tente de purification » (ouêbet), située en dehors du temple. Il pratiquaient sur la momie tous les rites régénérateurs qui devaient la transformer en un nouveau corps rajeuni, doté de toutes ses anciennes facultés terrestres qu lui permettaient d’être apte à franchir les sombres régions du serpent Apopis, et de jouir d’une vie sans déclin. Le rite essentiel pratiqué par l’officiant était l’ouverture de la bouche. Armé de l’herminette nétjerty ou de la baquette magique ouret-hékaopu, il faisait le geste rituel d’écarter les lèvres du défunt, afin de lui rendre le souffle de vie et l’usage de la parole. Durant cet acte, le « prêtre-lecteur » récitait les litanies du Livre des Respirations.



3.9. — Les Maisons de Vie


Chaque temple dans son domaine, avec sa raison d’être, la Demeure du dieu sur Terre, possédait une « Maison de Vie » et une bibliothèque. Il faut constater que les Égyptiens parlaient d’elles sans donner de détails ; c’étaient des institutions encore assez mystérieuses. D’une façon certaine, nous connaissons leur existence à Memphis, Abydos, Coptos, Esna, Karnak et Tell el-Amarna. Ces institutions étaient probablement des centres plus ou moins fermés où s’élaborait la science, où les textes étaient étudiés et recopiés par des prêtres et des scribes initiés. En retranscrivant les vieux manuscrits, en comblant les lacunes, on élaborait les textes sacrés de la théologie et de la liturgie ; on réécrivait à des milliers d’exemplaires des versions de ces œuvres  : le Livre des Morts, le Livre des Cavernes, le Livre de la Totalité réunie, le Livre de ce qu’il y a dans la matrice des étoiles, les Litanies de la Demeure d’éternité, les Litanies de Rê qui dévoilent les noms de la Lumière divine, le Livre de la Barque solaire, le Livre de la Vache du Ciel, le Livre des Portes, le Livre de ce qu’il y a dans l’autre monde (l’Amdouat).

On préparait les grimoires magiques, on enseignait l’astronomie, la philosophie, la religion, la médecine, la littérature et les arts. Quelques-uns des plus beaux textes spirituels ou moraux qui furent retrouvés, sont nés des réflexions et des convictions de scribes et de prêtres obscurs, dont les noms nous restent encore inconnus.

On peut considérer que tout ce qui s’écrivait sur la pierre des temples, sur les parois des tombes, dans les sarcophages, comme tous les textes sur papyrus nécessaires au culte divin, aux cérémonies, les hiéroglyphes décrivant et dévoilant aux initiés ce qui réside dans le Noun, d’où naît toute forme de vie, tous les éléments de la science, de la religion, de la culture, sortaient des « Maisons de Vie ».

Il existait aussi une classe de prêtres plus sélective  : les prêtres de la « Demeure d’Or », dans laquelle un art magistral mettait en œuvre le métal précieux considéré comme la « Chair des dieux », dont étaient revêtues les momies royales, où s’opérait l’alliage des métaux pour obtenir l’électrum qui revêtait le pyramidion des obélisques. Là se préparaient les potions magiques, les onguents et les parfums, se réalisait aussi la chimie des pigments servant à la composition des couleurs et s’opérait la reconstitution de pierres précieuses comme le lapis-lazuli, qui servait à l’ornementation des maques funéraires, des amulettes et des bijoux.

Nous pouvons supposer que dans des ateliers, des prêtres-artisans façonnaient les objets sacrés  : le diadème seshed où venait se fixer l’Uræus, symbole de protection de la puissance royale ; le collier meânkh, « celui qui donne la vie », l’amulette Oudjat, « qui donne la vie éternelle », tout un art magique qui se pratiquait dans les « Maisons de Vie ».



3.10. — Conclusion du chapitre 3.


En parcourant les textes grecs anciens, on ne peut se défendre de l’idée que, dans ce confluent méditerranéen, l’Égypte pharaonique, fût le berceau d’un souffle porteur d’une vérité fondamentale  : le rapport entre les hommes et les dieux est indispensable au maintien de l’harmonie du monde. Cette relation ne pouvait être maintenue que par la célébration des rites cultuels et de la magie héka.

Des savants, des philosophes, des historiens, tels Homère, Platon, Solon, Thalès, Pythagore, Hérodote, ont franchi la mer et se sont rendus dans ces « Écoles de Mystères » pour y recevoir l’enseignement d’une partie de cette science accumulée au cours des millénaires. C’est la que Platon aurait été informé de la légende de l’Atlantide par des prêtres d’Héliopolis. Dans son ouvrage les Aiguptiaka, Manéthon nous donne des informations qui restent une des sources principales de connaissance des mœurs des Égyptiens, Grecs et Romains, passionnés par la science de la religion de cette fabuleuse civilisation, laissèrent des témoignages qui constituent le fonds le plus riche que nous ayons à notre portée pour comprendre l’histoire et la religion de l’Égypte ancienne.

Nous savons aussi par des commentaires de voyageurs grecs qui firent des stages à cette époque en Égypte, que les prêtres et les scribes des « Maisons de Vie » éprouvaient une réticence à divulguer certaines révélations, selon les textes sacrés de la Tradition du passé  : « J’ai été initié dans ces Mystères. En vérité je ne le répéterai jamais ce que j’ai entendu. Je ne raconterai à personne ce que j’ai vu ». Livre des Morts

Cette connaissance, relevant de la haute idée q’ils conçurent de la science, de la religion et de la morale, enseignait le respect de la hiérarchie aux futurs prêtres et fonctionnaires royaux. Les enseignements de Ptahotep, vizir du roi Djedkarê de la V° dynastie, rendus célèbres et utilisés dans les écoles égyptiennes, en sont un témoignage. Des scribes lettrés écrivirent des contes dans le genre des Mille et une Nuits  : conte des Deux Frères, conte du naufragé, conte de l’Oasien, conte de Sinouhé, pour ne citer que ceux-là.

Les prêtres de l’Ancienne Égypte étaient-ils des initiés, œuvrant dans les secrets des « Maisons de Vie » où s’élaborait une science  : science de l’approchement et l’application (le savoir), science de la réalisation et de l’accomplissement (la connaissance) ? Nous pouvons reconnaître l’existence d’une élite qui se partageait un savoir et une connaissance. De ce fait, nous pourrions qualifier cette élite de « cercle d’initiés », dans le sens où ce terme codifiait l’admission à la révélation des mystères de la science de Dieu, de l’univers de l’homme. Nous sommes en mesure d’affirmer que la mission du corps sacerdotal de l’Ancienne Égypte était de maintenir par la magie du sacré la présence du dieu sur Terre, d’imposer une ligne de conduite permettant d’aspirer à l’immortalité, et également de veiller sur la personne de Pharaon « fils du dieu », garant de l’ordre du monde, tel q’il fut établi par les dieux (les Netjerou) au commencement de la Création. L’Égypte était considérée comme la réalité du monde. Pharaon et les prêtres en étaient les magiciens… !


« Vous, prêtres et scribes, vous êtes des connaissants. » Livre des Morts



4 — LE TEMPLE ÉGYPTIEN « Demeure du dieu »


4.1. — Symbolisme et fondation du temple


En Égypte, le temple est un lieu inaccessible aux profanes. Seuls, le pharaon et les prêtres initiés aux mystères des grands rituels divins, peuvent pénétrer dans l’intimité des sanctuaires afin d’engager le dialogue avec les dieux. Le bâtiment matérialise le passage entre l’espace extérieur et le domaine réservé où demeure le dieu. Le temple égyptien est à l’image du cosmos et ensuite de l’humain ; il situe des relations d’ordre primordial, qui sont exprimées de diverses façons  : relation entre le divin et l’humain, entre le ciel et la terre, entre le sacré et le profane. On dit aussi du temple qu’il est le « reflet du monde divin » ou la « réplique terrestre des archétypes célestes » ou le « lieu de la présence réelle ». Dans le même sens, le temple est une voie  : « voie de la descente et de l’action divine ». Voie par où l’homme peut s’élever à la divinité ; chemin qui mène à la lumière. Le temple en tant que réplique du macrocosme est figuré comme une « habitation »  : il est la « maison du dieu sur la terre », il est « maison de prière », ou encore « maison de vie », et il est « halte pour les pèlerins ». Enfin le temple est parfois assimilé au corps humain (par exemple  : Louxor et Karnak), qui devient « temple de l’esprit ». Le temple entier apparaît alors comme l’image de l’homme Microcosme, c’est-à-dire comme la projection morphologique des principes cosmiques situés fondamentalement dans les différents lieux du ciel.

Il y a un point très important qu’il faut préciser  : la pensée de l’Égypte pharaonique est pétrie de symbolisme, mais sur ce terrain, on ne peut avancer qu’avec précaution, et on en doit attribuer un sens symbolique à des témoignages archéologiques que si l’on est autorisé par des textes de l’époque. Tout autre procédé risquerait de nous entraîner dans des spéculations plus ou moins hasardeuses, et vouloir à tout prix trouver l’expression d’un symbolisme ou d’un ésotérisme moderne constituerait à coup sûr un manque de sérieux. La pensée religieuse égyptienne est suffisamment riche, au point qu’elle n’a nul besoin d’acquisitions supplémentaires ; elle se suffit à elle-même. Sa magie est un régulateur d’énergies spirituelles et matérielles entre le divin et l’homme, parce qu’elle place le Sacré comme une valeur première.

Vert sillon tracé entre deux étendues désertiques, l’Égypte, plus qu’ailleurs, a modelé par ses contrastes le peuple égyptien et ses réflexions religieuses. Il faut savoir que l’Égyptien ancien a les mêmes préoccupations spirituelles que les nôtres ; il s’est bâti un univers imaginaire reflétant des contraintes et des espoirs. Les forces invisibles qui animent le monde sont devenues des dieux et des divinités avec lesquels il se doit d’entretenir un dialogue permanent. Pour l’Égyptien, le monde réel (celui des hommes) et le monde imaginaire (celui des dieux) semblent interdépendants. Toute rupture d’équilibre entre ces deux mondes, toute déficience remet l’univers entier en question, car le monde des mondes reflète celui des dieux. C’est Pharaon qui, par sa filiation divine (il est fils de Rê) en est la clef de voûte. C’est sur lui que repose le fonctionnement de la société égyptienne, tant politique que religieuse. La royauté est le point de référence vers lequel se tourne le peuple égyptien ; de plus, l’évidence montre que les dieux besoin des hommes. C’est de par sa souveraineté divine que Pharaon, appelé aussi « le Grand Magicien », rend un culte aux dieux, le « culte divin », qui se déroule chaque jour dans le temple appelé le « Château du dieu ». En retour, le dieu assure son rôle, qui est de maintenir l’intégrité et l’équilibre du monde. Pour l’Égyptien, l’absence du temple, ou l’arrêt du culte, entraînerait la fin du monde organisé.



4.2. — fondation du temple


Toute une série de rites est consacrée à établir la fondation du temple. Il faut d’abord déterminer le lieu, l’emplacement, ainsi que l’orientation. Il est écrit  : « Celui qui édifie toute forme, toute figure, celui qui grave ou sculpte dans la pierre se charge de l’énergie divine et vivifie le nom du dieu. »

C’est à Pharaon que revient la charge d’édifier le temple, car le pouvoir royal ne peut tenir que par l’acte de fondation. Pharaon devient donc « Bâtisseur », premier privilège de son pouvoir royal. C’est dans la pierre blanche, « matériau d’éternité » que sera édifié le temple.

Les prêtres égyptiens, les ouabou (les prêtres purs), de la Basse Époque, ont attribué la rédaction du rituel de fondation à Imhotep, architecte et médecin, vers 2660 av. J.C., qui construisit la pyramide de Saqqarah pour le roi Djoser. Ce rituel de fondation rassemble tous les gestes et paroles qui président à la construction de l’édifice divin. Il est écrit  : « Sa Majesté ordonna de tendre le cordeau autour de ce temple qui se dresse en belles pierres blanches d’éternité. » Et Pharaon affirme la chose comme faite.

Tous les actes rituels sont exécutés par le pharaon, assisté par des officiants du clergé. Sans temple, le dieu n’a pas alors de « Demeure terrestre » et ne peut s’y poser. Ce reposoir est l’image symbolique du « Tertre originel » émergé du Noun, les Eaux Mères, où le dieu Rê s’est posé au premier matin de la Création du monde. Chaque opération tend à signifier le rôle symbolique et mystique du futur temple ; parce qu’il doit être un creuset d’ordre et d’équilibre du monde, par le principe de Maât, que Pharaon offrira au dieu en lui remettant sa « Demeure terrestre ».

Sur un emplacement choisi, Pharaon, assisté des prêtres purificateurs va déterminer l’orientation du tracé du « Berceau du temple », pour définir les axes à l’aide d’une alidade visant le ciel, en direction de la Grande Ourse, et vérifiant la place de la constellation d’Orion dans le ciel Sud. Une fois les données établies, Pharaon plante à chaque angle les piquets fourchus des chevalets, puis aligne entre eux le cordeau, marquant le tracé du « Berceau du temple » avec une extrême rigueur. Dans le temple d’Edfou, des scènes sur les bas-reliefs présentent Pharaon exécutant des rites de fondation.

Pharaon amorce le creusement de la tranchée fondation ; il faut descendre jusqu’à la nappe phréatique qui remplit le fond de la tranchée. Ici, dans la symbolique, l’eau évoque le Noun, les Eaux primordiales d’où sortit le « Tertre » au moment de la Création. Ensuite dans la fosse, du sable sera versé en lit de fondation, pour empêcher des mouvements pouvant provoquer des dommages dans l’édification. Pharaon précise en s’adressant au dieu  : « J’ai défoncé pour toi la terre jusqu’à la limite du Noun. ». Aux angles de fondation, Pharaon place deux objets, tels que des vases d’or et d’argent et des briquettes constituées de la terre d’Héliopolis, à quoi viennent s’ajouter le lapis-lazuli, la turquoise, le jaspe rouge et le quartz. Ces matériaux figurent les racines vivantes du temple qui sera l’image de la « Butte primordiale » émergée du Chaos. Ils vont authentifier l’accomplissement de l’œuvre, en particulier grâce aux plaquettes où sont inscrits le nom et la titulature de Pharaon dans ses cartouches royaux.

L’ensemble des rites sera symboliquement répété quatre fois, pour marquer que le temple sera édifié selon les quatre directions du Cosmos, que représente symboliquement l’image du pilier Djed. Les prêtres assurent le rituel de purification avant que l’édifice ne grandisse. L’acte écarte les forces mauvaises, élimine toute contamination venant du monde extérieur. De son côté, Pharaon, muni du sceptre hékat, symbole de son autorité spirituelle, va inscrire dans le temple les cycles et durées qui marqueront les rites du culte divin, ou « culte journalier ».

Pharaon accomplira sa déambulation rituelle, parcourant les salles du temple, ouvrant les portes et progressant vers le sanctuaire obscur, que le dieu viendra habiter. La mise en service du temple n’intervient qu’après une inauguration solennelle en présence du grand prêtre, appelé le « Grand des Voyants », et du clergé. Pharaon ouvrira le sanctuaire, le naos, y introduira la statue du dieu, à qui il remettra sa « Demeure d’éternité ». Le dernier acte de Pharaon sera de faire l’offrande de Maât au dieu. Il ne reste plus qu’à rendre le temple fonctionnel pour la liturgie.


Maintenant, que faut-il au temple pour qu’il fonctionne suivant le culte divin ?

•Tout d’abord un certain nombre de salles.

•Ensuite la statue du dieu.

•Une châsse, ou naos, qui sert de demeure au dieu.

•Une salle particulière où se tient le naos.

•Une barque processionnelle et une seconde statue destinée aux rites de sorties.

•Un reposoir pour poser la barque divine.

•Enfin un mur d’enceinte, ou Téménos, pour protéger la place ou a été édifié le temple.


Dans cet espace clos, certains temples, comme Karnak et Dendérah, possèdent un lac sacré, représentatif des Eaux primordiales. Il faut aussi un dromos, grande allée processionnelle comme celle qui, de Karnak rejoint Louxor. L’orientation du temple, à l’encontre des cathédrales n’est pas systématiquement et symboliquement orienté vers l’Est, car pour des raisons pratiques ils sont avant tout orientés vers le Nil pour faciliter le déroulement des rites de sorties par voie d’eau. En réalité, l’orientation se fait à l’intérieur du temple, où théoriquement le naos est sensé situer l’Orient, où renaît chaque matin le dieu Rê  : l’Orient est considéré comme le séjour des vivants, alors que l’Occident est celui des morts, l’Amdouat.



4.3. — Structure du temple


La structure du temple, qui répond à un impératif religieux, reste sensiblement la même. Le temple devient plus important vers la période thébaine, mais le plan d’ensemble reste toujours le même, en dehors de dispositions de détails qui peuvent varier de l’un à l’autre.

Les temples sont toujours construits selon un plan incliné, de manière à s’élever vers les appartements du dieu, si bien que le plafond donne l’impression de s’abaisser. Cette marche ascendante est accentuée par le passage de la lumière provenant de la cour à ciel ouvert, traversant la pénombre de la salle pour atteindre la salle obscure du naos. Ceci correspond à une dogmatique qui dirige la conception du temple dans sa symbolique, le temple étant représentatif du monde, il est construit en pierre, matériau indestructible dit « d’éternité ». son dallage est la Terre, les colonnes sont les supports du Ciel, représenté par les plafonds souvent peints en bleu et parsemés d’étoiles d’or.


On pénètre dans le temple en franchissant les étapes suivantes  :


Les obélisques. Ils sont sis devant le portique d’entrée. Ils étaient dressés par paires par les pharaons en hommage à Rê. Sur leurs faces, ils portent de longues inscriptions dédicatoires où apparaît le cartouche royal, le sommet était recouvert d’or ou d’électrum. Ce furent les Grecs qui nommèrent obeliskos — « brochettes à rôtir » — ce que les Égyptiens appelaient tekhen.

Le pylône. Il marque l’entrée du temple. Ses deux massifs ou môles encadrant la lourde porte de bois précieux symbolisaient l’horizon au-dessus duquel s’élève l’astre solaire. Les murs offrent toujours un fruit marqué qui leur confère une forme trapézoïdale. L’intérieur des môles présente souvent des salles et des escaliers conduisant à la terrasse. La façade, striée de rainurages où s’encastraient les mâts de fête, s’orne de reliefs en creux autrefois peints, représentant le plus souvent des scènes rituelles de massacre de prisonniers accomplis par Pharaon  : une proclamation de la vocation du roi à écarter de l’Égypte les puissances malfaisantes.

La cour. Bordée d’un portique et presque toujours à ciel ouvert, elle était, à certaines occasions, accessible au peuple. Celui-ci venait y acclamer le dieu sortant de son sanctuaire à la lumière du jour que son énergie créatrice avait suscité. Ainsi, dans une cour, les chapiteaux des colonnes sont toujours ouverts, épanouis à la lumière divine.

La ou les salles hypostyles (c’est-à-dire soutenue par des colonnes). Par un large vestibule, on pénètre dans la salle hypostyle, où ne sont admis que les prêtres du clergé et les officiants du temple. Souvent certains temples, comme Karnak, Louxor, ou Edfou, possèdent trois salles hypostyles. L’une est réservée à l’adoration du dieu, l’autre est destinée à la réception des offrandes ; la dernière est la salle intérieure, celle qui correspond en quelque sorte aux appartements du dieu, qui forme l’adyton, ce qui signifie « le lieu qu’on ne doit pas connaître ». C’est la partie secrète, le Saint des Saints, où est situé le naos dans lequel est cachée la statue du dieu.

La salle des offrandes. Elle accueillait les présents offerts quotidiennement au dieu. Tout en psalmodiant les textes sacrés, les acolytes accompagnaient le grand prêtre jusqu’à la salle suivante, le vestibule, sur les murs duquel étaient gravées des litanies qu’ils récitaient.

La salle de la barque. Elle abritait, dans le cas d’un temple voué à des divinités solaires, l’embarcation sacrée où était hissée la statue du dieu lors des processions. Marquant l’entrée de la partie la plus intime du temple, elle est encadrée de chapelles et de diverses remises (laboratoire ou se préparaient les onguents, trésor, garde-robe…).

Le sanctuaire ou salle intérieure. Appelé également le Saint des Saints — ou naos dans les temples ptolémaïques — il abritait la statue, du dieu, déposée dans un tabernacle de pierre (naos) fermé par une porte. Chaque jour, le grand prêtre, qui y entrait seul, en brisait les sceaux pour un face-à-face mystique avec la divinité. Il accomplissait alors les rites destinés à maintenir la présence divine.



5 — CONCLUSION


Répondant aux besoins des Égyptiens, rythmé par le cycle cosmique du Soleil, le culte divin au temple a pour premier objectif, de mettre en œuvre une magie rituelle pour conserver sur Terre cette Présence du dieu.

D’autre part, pour les Égyptiens, le temps n’est pas linéaire ; il est rompu de cycles, et l’issue de chacun d’eux peut ramener le chaos ou bien permettre la naissance d’un nouveau cycle comparable du précédent. Aussi, faut-il aider le passage des cycle en faisant demeurer le dieu dans le temple par l’adoration, l’offrande en nourriture, les louanges et les hymnes. Et que pour l’ordre et l’équilibre des choses du monde demeurent, le rite culmine avec « l’offrande de Maât, principe de Vérité-Justice »

La présence du dieu vivant dans le temple, le caractère sacré du lieu, la valeur spirituelle du culte divin, sont indispensables à la vie quotidienne du peuple égyptien. Il y gagne la certitude d’une vie tranquille à l’abri des besoins et le sentiment de pouvoir bénéficier aussi d’une autre vie sereine, dans l’au-delà, « Les Champs de l’Imenou ».


« Quand les offrandes divines descendent, le visage des hommes est éclairé, le cœur des dieux est en joie. » Textes des Pyramides 1554



Philippe Lassire



VOS COMMENTAIRES


Depuis très longtemps, je suis passionnée de tout ce qui concerne l’Égypte et c’est avec beaucoup d’intérêt que je viens de lire votre écrit en ses deux parties. Vous y donnez plusieurs éclairages appuyés certainement par votre propre expérience de voyage que vous décrivez dans votre autre écrit « Itinéraire de Deauville aux pyramides d’Égypte », que j’ai déjà lu plusieurs fois. J’ai entendu parler plusieurs fois du « Livre des morts », mais je n’en ai qu’une idée très fragmentaire, pourriez-vous m’en donner, si vous le pouvez, un bref résumé ?
En attendant votre réponse, je vous souhaite, Cher Monsieur, bonne continuation dans la réalisation de vos écrits.


Je vais essayer de vous répondre du mieux possible en quelques mots, mais si vous souhaitez une connaissance étendue et spécialisée, je vous conseille de lire « Les livres des morts : tibétain, égyptien, chrétien de Jean-Yves Leloup chez Albin Michel. Il semble que le « Livre des morts égyptiens » fut écrit pendant l’avènement du Nouvel Empire Égyptien (1580 à 1100 av. J.C.). L’état de conscience individuelle de cette période est illustré, entre autres, par la naissance de ce recueil majeur. Son nom actuel a été donné au siècle dernier par l'égyptologue prussien Lepsius, qui, lors de ses fouilles en Égypte, découvrit de très nombreux exemplaires de ce document dans les tombeaux du Nouvel Empire. La traduction de son titre est inexacte, en fait, le titre réel ce document est : « Formule pour sortir au jour », ce qui a une tout autre signification. Il est écrit sur papyrus en hiératique. Ce livre nous est connu sous deux versions que l’on appelle recension : recension thébaine et recension saïte. Le message, dans les deux livres, est identique, quelle que soit la version. Il constituait un guide pour le défunt dans l’au-delà. On parle de « Livre des Morts », mais en réalité, il était surtout destiné aux vivants qui, conscients de l’inéluctable échéance, se préparaient à l’aborder en toute connaissance. C’est donc par excellence un magnifique livre de morale et de conseil pour avoir une vie exemplaire. Le chapitre 125 de ce recueil est très connu. Il comprend la scène de la pesée de l’âme, ou psychostasie, qui est accompagnée de la déclaration d’innocence ou « Confession de Maât ».
J’espère avoir répondu en partie à votre question.
Je vous souhaite bon courage dans votre recherche et au plaisir de converser à nouveau avec vous dans ce site.


Bonjour Philippe,

En premier, mes élèves et moi vous adressons toutes nos félicitations et amicales pensées de Vera Cruz. Nous voyons que vous êtes toujours aussi intéressant et que vous continuez à nous apporter de réels sujets de réflexion. Nous sommes sensibles à votre thème et nous avons acquis la certitude que l’Égypte fut la Mère des Mystères. Elle reçut la révélation sur l’âme, son origine divine, sa lumière, sa nature, ses facultés, son devenir. Et cette révélation, elle l’a traduite en mythes. Elle créa l’âme-dieu souffrant, mourant ressuscitant, se divinisant et l’établit ensuite suprême juge. Elle institua alors les cérémonies des Mystères, à l’aide des mythes-images pour y cacher cette révélation venue du ciel, et pour inviter à se nourrir de sa sagesse. D’autre part, de ses Mystères, découle une grande moralité, celle, surtout, qui se rapporte à la valeur de la vie terrestre de l’homme et qui consolida la vie sociale de la civilisation débutante. L’Égypte a rehaussé encore le culte de cette Isis, cette mère divine, sœur et épouse, ce féminin secourable dans toutes ses liaisons avec le masculin, mère, sœur et épouse, inséparable de toute âme qui suit ce même chemin évolutif de la passion vers la sainteté.
Voici Philippe, le sujet que nous avons débattu après la lecture publique de votre article. Sachez que vous êtes toujours le bienvenu s’il s’avérait que vous veniez au Mexique.

Avec tous nos remerciements et toute notre amitié.
Olivia.


Très chère Olivia,

Tout d’abord merci à vous et à vos élèves de vos appréciations et de votre fidélité à ce blog. Les lecteurs (couvrant près de 60 pays) et vous me faites voyager en pensée. Pour bien comprendre ce que vous avez écrit il faut faire l’effort de se projeter dans la personnalité de l’adepte de cette époque qui voit la vie sous un jour différent du profane qui donne tant de prix au monde visible, ce reflet affaibli du véritable monde vivant. Selon la plupart des Initiés, la vie réelle est dans l’invisible. Là, sont les Rythmes secrets qui organisent la matière et en différencie la production. Là battent les palpitations qui animent le monde suivant le cours de son Évolution. C’est là que toutes les formes naissent et meurent sans altérer leur substance intime, seule Vraie. L’Invisible est la matrice de toute chose, le centre de toute activité. C’est en lui que, sous les souffles d’en haut s’effectuent ces mutations apparentes qui sont la vie extérieure dans les limites du temps et de l’espace, telles que nous les apprécions. Tout ce qui apparaît au néophyte, n’est qu’une projection du monde réel. Celle-ci comporte plus ou moins l’aspect de l’existence, mais de l’invisible, les constructions de la matière seraient mortes comme une maison sans habitants. Les Rythmes – qui subissent la loi des Nombres – conditionnent toute vie, de la plus infime cellule au grand Univers. C’est par eux que les courants de vie circulent, donnant à tous les êtres leur forme, leur beauté.
Après le parcours d’Isis, quand on étudie celui d’Osiris, son action mystique, sa mort et sa résurrection, on ne peut s’empêcher de penser à l’histoire de Jésus, plusieurs siècles plus tard. Je termine en vous laissant méditer sur cette pensée.

À vos élèves et à vous, je vous adresse toute mon amitié et bonne continuation dans ce domaine si attirant et mes hommages à Vera Cruz.


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Philippe Lassire
Philippe Lassire
Auteur du site
top-philo.fr



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